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Reportage

Écrit le 28 avril  2018

15/20 : La crédibilité du système de notation français pâlit face à la mobilisation des étudiants

Ils ont exigé un 15 sur 20 minimum ! Certains les ont trouvés audacieux, d’autres irréalistes ou encore totalement stupides. La revendication des étudiants manifestants de la faculté de Bordeaux interpelle dans tous les cas. Plus encore, elle fait resurgir le débat sur la crédibilité de ces fameuses notes, et plus généralement sur le système de sélection imposée par l’Education nationale aux jeunes depuis la primaire jusqu’au études supérieures. Mais ces étudiants, principaux concernés, qu’ils soient révoltés, désintéressés, pas informés, blasés, étrangers ou encore concentrés sur leurs révisions d’examens, qu’en pensent-ils justement ? Society Campus a effectué un tour de Bordeaux  et est partit à leur rencontre avec pour blason ce très discuté 15/20 : Place aux réactions ! 

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Montaigne, l’exilé

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Lundi 23 avril, le campus universitaire de Montaigne, à Pessac en périphérie de Bordeaux est quasiment désert. Les amphithéâtres et les salles de cours, ont retrouvé leur calme après cette première journée hebdomadaire. Seules quelques feuilles éparses jonchant les sols et  les chaises quelque peu dérangées attestent de la présence des étudiants quelques heures plutôt. Dehors, quelques jeunes profitent encore des derniers rayons du soleil. Assis à même la pelouse ou juchés sur les tables en bois qu’offre le parc du campus, ils bavardent, rivent leurs yeux à leur portable ou encore étudient. Faisant pourtant eux aussi partie des éléments touchés par les réformes de la loi Vidal, ils semblent loin des préoccupations qui agitent depuis plusieurs mois leurs confrères de la faculté de la Victoire. Ces derniers ont notamment réclamé l’annulation des examens du second semestre qui doivent commencer en mai et « la note de 15 au minimum afin que les étudiant-e-s (manifestants, ndlr) ne soient pas pénalisés dans leurs études ».  Alors désintéressés, peu informés ou juste trop préoccupés par les partiels qui poignent ? Mathilde P. et Clémence L., deux étudiantes en première année de Master de droit à l’Université Montaigne, se sont exprimées :

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Après quelques explications sur le polémique 15/20, voici leur réaction :​

« On a pas trop suivi ce qui s’est passé. Ici, il y’a quasiment rien eu. Aucun de nos cours n’ont été perturbés et on est plutôt restées concentrées sur nos révisions. », avoue Clémence L.

« C’est un scandale, on ne peut pas leur accorder ça. Nous on bosse sans relâche et on aura peut-être même pas une aussi bonne note. Ce ne serait pas juste. Il aurait demandé la moyenne, passe encore, mais un 15, c’est beaucoup trop … et puis d’ailleurs ça m’étonnerait que cela soit accepté ! », s'insurge Clémence L.

« Ils ont fait le choix de manifester, ils doivent assumer. Et s’ils croient vraiment que leur action est dans l’intérêt général, alors ça vaut bien un semestre. Qu’ils aillent jusqu’au bout ! » renchérit Mathilde P.​

Victoire, la révoltée

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Continuons au coeur de la bataille justement ! La Faculté de la Victoire, au centre ville de Bordeaux, est depuis le 15 mars, le théâtre de la révolte des étudiants contre le nouveau système de sélection de la loi Vidal. Occupée par une quarantaine de jeunes depuis cette date, la faculté est devenue un dortoir, une cantine, un lieu de vie aussi bien que de débat, où l'inquiétude, la colère et les suppositions s'entremêlent dans un incertain bric à brac. Dès l'entrée et dans chaque lieux de l'étage inférieur, les multiples banderoles, tags et affiches dépeignent les revendications et indignations des étudiants. Sur l'une est jetée froidement une certaine rancoeur envers l'état, sur une autre s'inscrit la volonté de voir le président de la fac, Manuel Tunon de Lara, démissionner. Certaines encore revendiquent le droit à la parole de la jeunesse tandis que les suivantes exposent des messages d'encouragement ou de soutien aux autres facultés françaises livrant le même combat. Partout les portes sont barricadées, bloquées à l'aide de chaises, tables, bancs ou tous objets lourds que les étudiants ont pu trouver, entravées avec des liens de rideaux, des ficelles et des cordes. Les protestants savent que tôt ou tard on viendra les déloger.

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Alors que dans le hall d'un escalier une cuisine a été montée de toutes pièces - deux tables accolées, un réchaud de camping, quelques aliments, des sodas et des bières, et un large bac semblant faire office de bac à vaisselle - l'étage, quant à lui, se constitue d'une succession de pièces vides devenues des chambres pour les occupants. Les plus richement dotés possèdent un matelas gonflable, un duvet et quelques affaires personnelles alignées à côté, tandis que les plus mal logés se contentent d'un tapis en mousse et d'une ou deux couvertures. L'odeur âcre de renfermé et de cohabitation constante pique le nez et ne semble pas seulement datée du matin.  Au bout du couloir, celle provenant des toilettes, dans l'un desquels une douche de fortune a par ailleurs été montée, n'est pas plus ragoutante.

FACULTÉ DE LA VICTOIRE

Continuez d'arpenter ces couloirs et vous finirez par tomber, tôt ou tard, nez à nez avec l'un des habitants en sursis de ces lieux. Il vous racontera alors de manière plus ou moins enflammée et convaincue, la raison de cette insoumission.  Dernière revendication en date des apprentis révolutionnaires, la question du 15/20 s'impose comme ouverture :

"On l'a demandé (le 15/20, ndlr) pour le symbole et pour montrer le cynisme de l'université !", dénonce un jeune de 19 ans surnommé Pablo, inscrit en première année d'Histoire à Bordeaux Trois et gardien ce jour-là de la porte de la faculté.  

 

 

Il est accompagné de Camille M., 20 ans, élève en première année de psychologie :

"Passer des examens dans une université qui est entrain de se détruire ça n'a pas de sens". "Ce que considère l'ensemble des gens ici, c'est qu'il y'a des périodes, sociales comme aujourd'hui, où perdre un mois d'étude ce n'est pas très grave vis à vis de la réforme", assure Benjamin Cherron, 21 ans, étudiant en troisième année de sociologie.

Remettent-ils également en cause le système de notation dans sa globalité ?

"On est beaucoup à être très critiques envers ce système d'évaluation par les notes. C'est hyper élitiste !", poursuit Pablo.​

"Un quinze dans deux lycées différents est-ce que ça vaut la même chose ou pas ? Les modalités (de sélection, ndlr) sont très différentes selon les facs et même selon les filières", questionne Benjamin Cherron.

Que pensent-ils des étudiants qui ne s'intéressent pas à la mobilisation ou qui ont choisi de ne pas s'en mêler ?

"La non-prise de position est une position." Quand les gens sont touchés, ils se mobilisent beaucoup plus facilement. Là ça nous touche nous, mais aussi et surtout les prochaine générations.", explique Pablo.

Les quais, détachés

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Jeudi 26 avril, il est 23 heures sur les quais de Bordeaux. La pluie est annoncée pour demain vendredi et pour tout le weekend. Beaucoup de jeunes ont donc décidés de sortir faire la fête sur les rives de la Garonne. L'air est doux, et cela fera toujours un appartement de moins à nettoyer et quelques objets cassés en moins à remplacer. C'est donc d'un esprit détaché et joyeux que Anthonin, 22 ans, et sa bande de six ou sept amis ont répondu à nos tribulations sur le 15/20.

"Franchement, je ne sais pas lequel a eu l'idée mais il fallait oser (rires, ndlr). Nous on y croit pas. Ça ne va pas marcher cette revendication, c'est trop gros. Pourquoi pas 20/20 tant qu'ils y sont," gloussent-ils.

Ils plaisantent, feignent l'indifférence, mais leur ironie cache une certaine amertume, le sujet les touchent malgré tout. Et après un silence encourageant, celui qui semble être le leader du groupe se lance :

"Moi, je ne crois plus dans l'efficacité de la manifestation. Aujourd'hui, on manifeste sans arrêt pour tout et pour rien et le gouvernement n'en a plus rien à faire. Là, typiquement je suis persuadé que la mobilisation des étudiants ne va mener à rien ou presque, sinon peut-être à décrédibiliser encore plus les jeunes, en les faisant passer pour des casseurs, des délinquants,etc", se libère à demi-mots Anthonin. 

Ses compères acquiescent de signes de têtes et autres grimaces approbatrices. Leur nonchalance cache donc un sang qui bout. Ils pourraient sans doute être imager par un volcan endormi. Explosera-t'il un jour ? Construiront-t'ils leurs pensées et laisseront t'ils s'exprimer leur voix ?  Peut-être, peut-être pas, seul l'avenir le dira.

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L'avenir, concerné

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Solène Ledieu a 21 ans et suit actuellement un Master 1, Métier de l'Enseignement, de l'Éducation et de la Formation (MEEF). Elle est donc une enseignante en devenir et de fait une  future "juge d'élèves par le pouvoir des notes". Plongée dans ces révisions pour le CAPES, elle n'a pas pris part aux récentes manifestions. Quel regard porte t'elle sur la revendication des étudiants ?

"Je trouve ça assez ridicule et illégitime. J'estime qu'avoir quinze parce que notre fac est en grève, c'est injustifié et même injuste pour ceux qui révisent leur cours.", répond cette jeune ancienne étudiante de la fac d'histoire.

Comment appréhende-t'elle de devoir appliquer le système de notation imposé par l'Éducation nationale ?

"Personnellement, j'ai été en stage dans un collège où les enseignants ne notaient pas les élèves. C'était un collège REPplus, donc implanté dans une banlieue, qui présentait un système éducatif différent des établissements classiques. Les élèves y étaient évalués par compétences. De ce fait, un jeune pouvait être très bon dans une compétence et mauvais dans une autre au sein d'une même matière. Chaque contrôle validait six compétences différentes. Lorsque l'élève reçoit sa copie commentée, il sait facilement ce qu'il a acquis ou non. Et j'ai trouvé ça plus complet de les évaluer de cette manière. Une note finalement on se sait pas vraiment ce que ça veut dire. Alors qu'une compétence est définie. Je ne dis pas qu'il faudrait complètement abandonner les notes car c'est vrai que c'est encore ce qui est le plus simple pour les parents et pour établir le niveau des élèves, mais ce serait bien de les coupler avec un autre système plus diversifié et qui oriente mieux les élèves. Pour les enseignants, cela permet également de mieux constater ou non la progressions des jeunes.", dénote la future professeur.

Bien que les intérêts convergent, comme dans toutes bonnes démocraties, les avis eux divergent. Si pour certains, les autres en font trop, pour les autres, certains n'en font pas assez.  Cependant alors que le 15/20 - symbolique ou intrépide - fait polémique, l'ensemble des étudiants aquitains semblent tomber d'accord sur un point :  le système de notation des élèves est, lui, à réformer. 

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Anaïs Durr

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