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Le clonage d’êtres vivants n’est plus une nouveauté. Il a fait ses débuts dans les années soixante, connu son premier succès en 1996 avec la brebis Dolly - premier animal cloné à partir d’une cellule d’être vivant adulte - puis s’est étendu au fil des années à plusieurs autres races de mammifères. Si pour certains d’entre eux, comme les animaux de compagnie, la raison est d’ordre affectif, d’autres l’ont subit à des fins de production, on citera par exemple les élevages de vaches à viande aux Etats-Unis. Le cheval s’est finalement vu lui aussi concerné par cette technique de reproduction génétique pour ses performances sportives. L’aventure débute dans les années 1980 puis se concrétise en 2003 lorsque né la première pouliche clonée, une Haflinger du nom de Promettea. Dès lors, les intérêts commerciaux déjà très présents dans la filière équestre s'éveillent et le clonage intrigue, autant qu'il effraie et/ou rebute, les professionnels. 

L'HISTOIRE DU CLONAGE

Première infographie : Avantages et inconvénients du clonage équin. 

PARTIE 1   

Le clonage : les prémices d'un désir de performances

Deuxième infographie : Les dates clefs de l'histoire du clonage équin. 

L'Argentine conquise, l'Europe lâche prise

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Pour certains le clonage représente immédiatement une machine à créer des champions. Certaines écuries, même si elles sont peu nombreuses, fondent beaucoup d’espoir dans cette nouvelle technologie et se lancent très tôt. Ainsi, dès les premières années de grands champions sont clonés ; Calvaro V en 2005, puis Pieraz et E.T FRH par l’unique société française Cryozootech en 2006 ou encore en 2009 le multi-titré Levisto Z reproduit par l’élevage belge Zangersheide, l’une des écuries pionnières dans le domaine. Plus souvent décrié qu’adulé en Europe, le clonage fait alors régulièrement les gros titres des journaux et des magazines spécialisés. Puis trois ou quatre ans plus tard, plus rien. Plus de nouvelles de ces ovnis équins. Les premiers poulains clonés ne font pas leur apparition sur les pistes de concours. On n'entend plus parler de grands cracks attendant d’être reproduits à l’identique. L’intérêt pour le clonage semble s’être éteint et ce dernier ne se développera pas d’avantage sur les terres équestres européennes. 

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En Argentine, au contraire, le clonage a immédiatement conquis les scientifiques et les propriétaires. Surtout les joueurs de polo. Car si les cavaliers locaux font l’objet d’un véritable engouement et d’une popularité démesurée, leurs montures ne sont pas en reste. Vedettes et athlètes accomplis, tout est mis en œuvre pour permettre à ces cracks chevaux de donner le meilleur sur le terrain et leur assurer une carrière la plus longue possible, quitte même à leur offrir une deuxième vie. C’est ce à quoi s’appliquent certains des plus importants élevages argentins ; cloner ces chevaux stars pour « prolonger » leur carrière et profiter de leur qualité sportives bien après leur retraite ou leur mort. Ainsi se baladent dans les verdoyantes pâtures sud-américaines des Aiken Curra numéro E01 ou E04, clones du feu célèbre étalon Aiken Cura monture du non moins reconnu Adolfo Cambiaso, leader mondial du polo, ou encore des Cuartetera numéro B09, B11,etc copies de sa jument préférée l’« originale » Cuartetera. Adolfo Cambiaso est l'un des précurseurs du clonage de chevaux en Argentine. Lorsqu’en décembre 2006, son meilleur cheval, l’étalon Aiken Cura, fut euthanasié des suites d’une fracture d’un antérieur survenue lors d’un match, il a fait prélever un bout de peau sur le coup de l’animal, au cas où. Il s’est associé quelques temps plus tard, au financier texan Alan Meeker, pionnier dans le domaine et à Ernesto Gutierrez, un vétérinaire et businessman argentin passionné de polo et érudit du transfert embryonnaire chez les bovins. Ensemble, les trois hommes projettent de monter leur propre structure de clonage en Argentine et de développer les manipulations génétiques sur les chevaux de polo. En 2009, leurs plans se concrétisent et le laboratoire et haras Crestview sort de terre dans la propriété d’Ernesto Gutierrez. Avant-gardistes à cette époque, ils sont à l’origine d’un élevage futuriste presque surréaliste. Les éleveurs ne se penchent désormais plus sur les papiers des parents pour étudier les lignées génétiques et ainsi croiser le meilleur étalon avec la jument qui lui correspondra ou inversement, mais « fabriquent » des embryons. Les champs ou la monte en main ont laissé place aux laborantins et leurs pipettes qui s’appliquent à créer, en associant un noyau de la « copie originale » et un ovocyte énuclés (infographie) – donc dépourvu de tout matériel génétique -, le prochain clone du crack. Le laboratoire Crestview Genetics fait ainsi naître soixante-dix poulains chaque année. Il est depuis concurrencé par quelques autres laboratoires argentins, tels que Kheiron Biotech, mais également américains qui ont saisis l'opportunité de réussir sur ce marché où la demande a explosé en quelques années seulement.

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Aujourd'hui, la plupart des joueurs et des élevages argentins fortunés travaillent à créer des lignées d’élite en dupliquant leurs meilleurs athlètes. L'industrie du clonage ne cesse ainsi de croître en Amérique du Sud. Le succès commercial des laboratoires Crestview Genetics et Kheiron Biotech est indéniable.

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Et les résultats semblent au rendez-vous. En 2016, lors de la finale de l'Open de polo d'Argentine, le mondialement prisé Abierto de Parlermo, Adolfo Cambiaso a décidé d'aligner six copies de sa Cuartetera (voir photo). Un pari fou, jamais tenté, qui s'est soldé par la victoire de son équipe.

©CrestView Genetics

Le clonage à travers le monde 

Pourquoi le clonage ne s'est-il pas développé en Europe ?

Le clonage s'est peu développé en Europe pour plusieurs raisons différentes. Tout d'abord il s'est heurté aux consciences éthiques du grand public et d'une majorité des professionnels de la filière. L'idée même de "copier" des êtres vivants a tout d'abord été jugée glauque par un très grand nombre qui d'après Pascale Chavatte-Palmer - directrice de recherches à l'INRA et vice-présidente de la Société internationale de transfert d'embryon (International Embryo Transfer Society - IETS), dont elle sera officiellement la présidente dès 2019 - ont "d'entrée diabolisé cette nouvelle technologie, bien souvent par peur et ignorance". Les mieux informés ont surtout été rebutés par son manque d'efficacité et les pertes que celle-ci pouvait occasionner. En effet, les études scientifiques montre une mortalité élevée des embryons ou des foetus, et parfois même des poulains nouveaux-nés.  En 2006, pour cloner Calvaro V - le célèbre gris, champion de saut d'obstacles - la société française Cryozootech a utilisé plus de 2 500 ovocytes, qui ont donné 22 embryons dont un seul a été porté jusqu'à terme. En 2010, il fallait utiliser encore environ 2 000 ovocytes de jument pour espérer obtenir un seul poulain viable. Bien que les techniques se soient améliorées depuis, le taux d'échec reste conséquent (voir doc : Résultats des clonages du laboratoire argentin Kheiron Biotech - Tableau page 18) et alimente toujours les débats bioéthiques. De plus, les ovocytes de jument sont principalement récupérés dans les abattoirs. Un fait qui explique également pourquoi le clonage est davantage répandu en Argentine, pays réputé comme étant l'un des plus gros consommateurs de viande chevaline. 

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"Cher, et "ça ne marche pas" !"

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Marion Wujek-Moreau, conseillère juridique au SIRE de l'IFCE (Institut français du cheval et de l'équitation) ajoute que les coûts élevés couplés à des résultats sportifs décevants ont été prépondérants dans la décrédibilisation du clonage : "Faire cloner un cheval est extrêmement cher, il faut compter environ 200 000 euros en Europe et en plus "ça ne marche pas". "D'un point de vue sportif les cracks espérés ne sont pas nés", renchérit Isabelle Barrier, formatrice à la jumenterie du Haras national du Pin.  Pour Pascale Chavatte-Palmer penser que le clone d'un champion sera lui aussi un champion est une idée reçue qui explique que beaucoup pensent aujourd'hui que le clonage ne fonctionne pas. La scientifique tient à rappeler l'intérêt premier du clonage : "Il ne faut pas penser qu’en clonant un être vivant on obtiendra sa copie conforme. C’est faux. Sportivement parlant, le mental des chevaux - qui lui ne se transmet pas génétiquement - la manière dont il est éduqué par sa mère puis entrainé par l'homme, son environnement, sont tous des facteurs qui influent drastiquement sur le potentiel d'un crack. Même si un cheval possède la matière génétique d'un champion, cela ne veut pas dire qu'il en sera un. C'est important de bien savoir pourquoi on clone les chevaux. Je pense que c’est très intéressant notamment si on veut sauvegarder une bonne lignée en reproduisant un cheval castré ou infertile par exemple. " Elle ajoute qu'en améliorant la génétique des chevaux à travers le clonage des meilleurs éléments, des résultats sur le plan sportif seraient observés, mais sur le long terme. "Si on se réfère à l'étude d'Anne Ricard - une généticienne de l'INRA qui chaque année est chargée de calculer les indices de performances des chevaux de saut d'obstacles - si 40% des hongres les plus performants se reproduisaient, on obtiendrait une amélioration génétique de 4% par génération".

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Ces résultats scientifiques se sont cependant à nouveau heurtés à la méfiance des éleveurs qui craignent que le clonage appauvrisse la diversité génétique des races et qu'apparaissent des maladies génétiques jusqu'à alors inexistantes. Sans compter que les règlements d'entrée des stud-books des races ne facilitent pas l'identification des chevaux clonés. "Il n'y a pas de règlement officiel global qui interdit aux chevaux clonés d'être inscrits aux stud-books", souligne Marion Wujek-Moreau. "C'est plus au cas par cas selon les races. Certains les ont catégoriquement bannis, comme le stud-book du Pur-sang arabe, tandis que d'autres les évincent de facto par leur règlement incompatible avec les techniques de reproduction du clonage. Par exemple, il ne peut pas y avoir de clones reconnus Trotteur français, puisque son stud-book n'accepte que les fécondations à base de semence fraîche - soit une reproduction "naturelle" entre deux individus tenus en main ou lâchés en liberté -, donc à l'opposé total de la fécondation in vitro pratiquée lors d'un clonage".  Tant et si bien qu'aujourd'hui en Europe, l'IFCE ne dénombre qu'un nombre très réduits de clones possédant des papiers d'identification.  "Les stud-books européens de chevaux de sports ne comptent aujourd'hui que cinq clones, quatre dans le stud-book belge Zangersheid (Z) et un dans le stud-book Anglo-européen (AES), ainsi que quatre-vingt descendants de clones", poursuit la conseillère juridique du SIRE. 

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Ce sont autant de raisons qui pourraient également freiner l'arrivée des chevaux génétiquement modifiés en Europe et dans les disciplines équestres olympiques. Mais si les résultats sportifs de ces "super chevaux" étaient, contrairement aux chevaux clonés, probants, gageons que la course à la performance et l'esprit compétitif de plus d'un pourraient bien prendre le dessus. 

En savoir plus

"Clonage, la nouvelle arme pour gagner ?" Reportage réalisé  Kareen Perrin-Debock et diffusé par la chaîne Equidia  Life en 2015.

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