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PARTIE 2   

Les modifications génétiques : le nouveau dopage des sports équestres ?

MARS 2018

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L'annonce choc

En Mars 2018, le Forum Economic Mondial (World Economic Forum) sous l'impulsion du laboratoire de clonage et de génétique, Kheiron Biotech, publie sur les réseaux sociaux une vidéo annonçant la naissance de chevaux génétiquement modifiés en 2019.  

Soit, grâce au clonage l'humain est désormais capable de reproduire les meilleurs cracks quasiment à l'identique. Mais ce dernier est bien connu pour vouloir toujours plus, toujours mieux. Et les scientifiques du laboratoire Kheiron Biotech illustrent parfaitement ce constat. Ils ne se contentent désormais plus de copier les gènes mais les éditent. Le laboratoire est parvenu à produire des embryons équins génétiquement modifiés. C'est grâce aux ciseaux moléculaires de hautes précision, CRISPR-Cas9, permettant de supprimer une séquence d'ADN et de la remplacer par celle d'un autre individu que cette prouesse scientifique a pu être réalisée. Une technique qui, d'après le laboratoire, permettrait de mettre au monde des "super chevaux : plus musclés, plus rapides et meilleurs sauteurs". De nouveaux champions encore plus performants que leurs géniteurs. Les premières naissances initialement prévues pour 2019 ont finalement été repoussées. Pourquoi ? Ces "super chevaux" verront-ils le jour ? Qu'en pensent les scientifiques, cavaliers et éleveurs européens ? Et quelles seront les conséquences pour le sport ? 

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Tout comme le clonage avant elles, les modifications génétiques suscitent de nombreux débats dans la sphère scientifique. Pascale Chavatte-Palmer, directrice de recherches à l'INRA et vice-présidente de la Société internationale de transfert d'embryon (International Embryo Transfer Society - IETS), dont elle sera officiellement la présidente dès 2019, s'est exprimée sur le sujet : " Il y a plusieurs façons de faire du génome éditing, soit on essaye d’injecter l’ADN modifié directement dans un oeuf fécondé, soit on établit des lignées cellulaires pour contrôler exactement où l’on effectue la modification, puis on réalise un clonage traditionnel à partir de ces cellules". Si sur le plan théorique, la technique semble étudiée et logique, la chercheuse appelle à la prudence : "Éditer des gènes est dangereux parce que pour réaliser ce genre de modifications il faut bien connaître son génome pour pouvoir anticiper les réponses de celui-ci. Or bien que le génôme du cheval ait été séquencé, il n’est pas totalement annoté donc il y a des parts d’ombres, des zones dont on ne sait pas à quoi elles servent ".

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"Kheiron Biotech, ils font du bruit c’est tout !" 

 

 

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Pascale Chavatte-Palmer évoque également le manque de transparence du laboratoire argentin : "Le problème c’est que Kheiron Biotech n’a pas communiqué officiellement sur le sujet, donc on ne sait pas par quel protocole ils vont parvenir à leurs fins. (Le laboratoire annonce le plus souvent les nouvelles naissances de clones ou ses récents partenariats avec des propriétaires fortunés à travers ses réseaux sociaux). Ils sont très secrets sur leurs techniques et leurs résultats. Quand ils communiquent, ils ne le font jamais à travers des articles scientifiques ou dans les conférences scientifiques comme cela se fait habituellement, on ne les voit jamais. On sait certaines choses car on connait certains chercheurs argentins qui obtiennent des brides d’informations." De fait, elle soupçonne que la naissance des "super chevaux" ait été repoussée suite à l'échec de l'expérience :" Pour le moment, Kheiron Biotech, il font du bruit c'est tout. Ils ont fait du bruit lorsqu’ils ont obtenus leur premier embryon et ils n’ont finalement pas donné de suite car ils ont certainement eu des avortements ou des déconvenues de ce genre". La future présidente de l'IETS convint cependant : " Après, je suis sûre qu'ils y travaillent et bien sûr qu’ils vont réussir à le faire". Pour Mario Novillo, l'un des vétérinaire du laboratoire de clonage CrestView Genetics, le principal concurrent de Kheiron Biotech, la raison de ce report est tout autre :"Ils n'avaient aucune autorisation pour réaliser ces modifications génétiques, c'est pourquoi ils ont abandonné le projet ". De son point de vue aussi, éditer des gènes n'est pas sans danger : "Je pense que c'est une erreur d'essayer de modifier le génome des chevaux car on ne sait pas si physiologiquement ils sont capables de supporter de tels changements". La réponse est claire, CrestView Genetics n'investira pas de si tôt dans les modifications génétiques. Contacté par téléphone, puis par mail, le directeur scientifique du laboratoire Kheiron Biotech, Gabriel Vichera, à quant à lui accepté de répondre aux questions puis après l'envoi de celles-ci s'est finalement rétracté.  

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Quelles seraient, d'un point de vue sportif, les conséquences de l'arrivée sur le marché de chevaux bioniques aux performances extraordinaires ? Comment les fédérations réagiraient-elles ? Comment leur "utilisation" pourrait-elle être encadrée ? Autant de questions auxquelles la scientifique Pascale Chavatte-Palmer a tenté de répondre : D’un point de vue juridique je ne vois pas comment de tels chevaux pourraient être acceptés officiellement en compétition. Cela reviendrait à donner un avantage artificiel à certains concurrents. Ce serait comme du dopage finalement, du dopage génétique." Elle souligne malgré tout, qu'interdire une telle pratique se révèlerait plus compliqué que proscrire une aide artificielle classique, tel que les guêtres postérieures : "La grosse difficulté avec ces techniques, c’est qu’elles ne sont pas traçables. Un cheval génétiquement modifié, ou un cheval cloné d’ailleurs, n’est absolument pas différenciable, ni physiquement à l’oeil ni même biologiquement, d’un cheval « normal ». Donc la FEI peut bien les interdire, mais comment va t’elle instaurer des contrôles ? Même si elle décidait d’effectuer un génotypage de tous les chevaux de haut niveau, ce qui en soit est déjà une tâche colossale, rien ne pourrait différencier une mutation effectuée en laboratoires des mutations naturelles qui s’effectuent occasionnellement (dues entre autre à la sédentarisation et aux différents modes d’élevages des chevaux domestiques)."

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"Il ne faut pas compter sur les fédérations pour protéger notre sport !"

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Un avis que partage le champion olympique et ancien président de la Fédération française d'équitation, Pierre Durand qui remet vivement en cause l'efficacité des fédérations : "Malheureusement, je pense qu'il ne faut pas compter sur les fédérations - auxquelles l'élevage échappe déjà depuis longtemps - pour protéger notre sport." (Son interview est à retrouver dans le 3 questions à). De fait, Pascale Chavatte-Palmer s'inquiète des éventuelles fraudes qui pourraient advenir : " En l'absence de contrôle efficace, quelqu’un qui voudrait frauder serait tout à fait apte à le faire. Surtout si c’est un cheval étranger, qui vient d’Amérique du Sud ou autre, dont on ne suit pas forcément la lignée et dont les papiers - sorte de carte d’identité des chevaux contenant leur arbre généalogique, les vaccins à jour et leur description physique - peuvent être aisément falsifier. Si le génome éditing se développe et je pense qu'il va se développer, le sport va devenir très compliqué. Alors à la question : est - ce qu'un jour des chevaux génétiquement modifiés pourraient prendre part à des compétitions internationales ? La réponse est oui.

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Quelles conséquences pour le sport ? 

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©AnaïsDurr -AnD

Les performances n'étant pas au rendez-vous, le clonage n'a pas convaincu les disciplines olympiques tels que le saut d'obstacles, le complet, le dressage ou encore le reining. Mais les manipulations génétiques pourraient inspirer un regain d'intérêt si les "super chevaux promis par le laboratoire Kheiron Biotech donnaient des résultats plus probants en compétition. 

Des professionnels inquiets 

Si les scientifiques sont dubitatifs face aux révélations de Kheiron Biotech, les éleveurs, cavaliers et enseignants eux sont consternés et s'inquiètent. Pénélope Sens, petite éleveuse pour le loisir et la compétition amateur et enseignante à l'écurie du Flamand en Gironde s'insurge contre les effets néfastes de la sélection génétique : "Les sélections génétiques effectuées pour la performance durant des dizaines d'années ont déjà considérablement affaiblit les chevaux. Aujourd'hui, on rencontre des problèmes de tendons, de pieds ou encore d'immunité que l'on ne trouve pas chez les races anciennes. On est en train de dénaturer complètement la nature et de créer des machines. On s'est éloigné de l'épicentre de l'équitation qui est le cheval pour se consacrer au sport. C'est dommage." "Aujourd'hui, j'espère une chose : que ces "super chevaux" soit un fiasco. Mais si cela fonctionne je pense qu'on aura des raisons d'avoir peur." poursuit la jeune femme. Une inquiétude que partage François de la Béraudière, propriétaire depuis quarante ans de l'élevage de chevaux de sport de Rouhet : " C'est contre nature et cela met en danger l'espèce entière. À travers les manipulations génétiques, on ne va pas améliorer les chevaux mais les standardiser sous prétexte de vouloir atteindre une excellence illusoire. Je n'aime pas du tout cette idée et en tant qu'éleveur elle m'effraie. Cela me fait penser à quelques souvenirs d'histoire peu glorieux ... la race aryenne." L'éleveur passionné relativise tout de même : "Après ce n'est pas dit que cela fonctionne et dans tous les cas il va leur falloir du temps pour les "mettre au point" (les super chevaux, ndlr). Ce n'est pas encore demain qu'ils fouleront les pistes internationales". Jean-Michel Villepelet, cavalier et éleveur de chevaux Quarter horse destinés au reining, quant à lui ris jaune : " Je dresse des chevaux pour le travail du bétail. Notre équitation est orientée vers le naturel, on laisse s'exprimer chaque individu en fonction de sa morphologie et de son mental. Je trouve ridicule de vouloir modifié génétiquement des chevaux, on a pas besoin de ça. " Qu'ils soient du saut d'obstacles, du dressage ou bien encore de la monte western le constat des professionnels est sans appel : manipuler génétiquement des équidés est une démarche bien peu cavalière. 

Les chevaux génétiquement modifiés ne sont plus un mythe, certains verront le jour prochainement. Si ce n’est en 2019, la majorité des scientifiques en est convaincue, ce sera probablement dans deux ou trois ans. L’avenir nous dira alors dans quelles proportions ces techniques génétiques intraçables impacteront les sports équestres. Dans cette recherche insatiable de perfection, peut-être l'humain sera t'il le suivant ? Le monde ne devrait pas tarder à entendre parler de quelques expériences effectuées en Chine ou bien encore aux États-Unis.      

Anaïs Durr

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